
Il m’arrive souvent de me promener au hasard dans les rues sinueuses de mes silences. Comme une ombre égarée au cœur d’une grande ville aux parfums sépia.
Voilà, au détour d’une pensée, le petit quartier des jours heureux. Un quartier secret et cosy. Le bonheur est simple. La tendresse pudique. Les silences complices. Un bouquet de fleurs qui ne connait pas de saisons. Il reste quelques photos. Des larmes. Des sourires aussi. Je me sens presque apaisé. C’est si doux. J’aurais dû apprendre à devenir heureux.
Puis il y a ce quartier de mon adolescence. La vie qui se dévoile. La première femme. Le premier désespoir d’amour. Toutes ces premières choses qu’on découvre avec ce sourire narquois et cette imbécile croyance d’être beau et invincible. Pour toujours.
Et on s’attarde dans les sombres ruelles des amitiés perdues. Toutes ces nuits brûlées de solitude en solitude où, coincés dans une impasse, on finit par s’endormir dans les bras de poètes qu’on n’aurait jamais dû croiser. Bercés par toutes ces chansons qu’on n’aurait jamais dû entendre. Puisqu’elles parlent aussi de nous. Avec une langue nouvelle qu’on ne soupçonnait même pas pouvoir comprendre. Et pourtant, elle devient la nôtre. Et, malgré la peur au ventre, on s’accroche à la vie. Comme un funambule qui traverse le long fil qui le mène de la crainte à l’espoir.
D’autres nuits, sans crier gare, je me laisse engloutir dans un quartier tout proche et je traverse les rues silencieuses de mon enfance. Je me promène ainsi, au fil des saisons tristes. Sans cesse renouvelées. Les étés sans cris de joie au bord de mer. On marchait en rang en se tenant par la main. Puis, des automnes. L’école. Toujours en rang. Les hivers. L’école. Le rang. Toujours marcher en rang. Une crèche faite par nos mains d’enfants. Pour personne. Le froid. La pluie. Le gris du ciel. Et puis c’est tout.
Il n’y avait jamais de printemps.
Photo et mots : alr © 2013